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15h.
J'étais comme
une extraterrestre

Cela fait trente ans qu’elle travaille pour le même client allemand,
« c’est très rare pour une société, précise la conductrice. On est en 2017 et elle fonctionne toujours ! » Et dire qu’en 1984, lors de la création de l’entreprise, elles n’étaient que deux : elle et sa sœur, Monique. « Elle conduisait aussi donc on a créé notre propre affaire : Les Transports Lémi », se souvient-elle avec un sourire en coin, en évoquant le nom. « Lémi », soit la contraction des surnoms des deux frangines : « On m’appelle toujours Lélé, jamais Huguette ! Et Monique, c’est Mimi… Je ne sais même plus pourquoi. » Dix ans plus tard, elle devient Les Transports Durand-Lémi, après la fusion avec l’entreprise de transports routiers de son mari, et compte une quinzaine de salariés.

 

 

« J'ai quitté l'entrepôt à 7 h 30 du matin,
je ne suis pas fatiguée,
je suis bien ! »

 


Pas étonnant : dans l’habitacle, c’est ambiance lounge. Les néons rouges sombres, assortis aux ceintures de sécurité, font ressortir ses cheveux de feu. Derrière elle, un gros plaid noir en fausse fourrure recouvre son lit. Pareil sur nos sièges en cuir. Et l’air chaud du chauffage ferait presque oublier le sale temps de cette fin janvier. Des gadgets ultras sophistiqués illuminent le tableau de bord de toutes les couleurs.

 

En chantonnant, Huguette touche un bouton par-ci, une manette par-là, un interrupteur en haut, puis en bas. « Il est pas beau mon camion ? » lance-t-elle avec fierté. C’est clair qu’il a de la gueule, avec cette peinture noire et le nom de l’entreprise écrite en rouge. Rien à voir avec les camions tout crasseux qui roulent autour de nous. « Je l’ai depuis un mois et demi, c’est un cadeau de mon mari pour la fin de ma carrière. J’avais un Renault Magnum avant, en bleu, je l’aimais beaucoup, on faisait vraiment la paire tous les deux », indique la pilote de 61 ans, en pointant le bijou doré épinglé à sa veste. C’est une broche, à l’effigie de son ancien compère. « J’ignore si les camions ont une âme, mais quand on est très complice, il devient vraiment une extension de soi. Ce n’est pas encore le cas avec lui, mais on commence à s’habituer l’un à l’autre », ajoute-t-elle en tapotant son volant, comme sur l’épaule d’un vieux copain.

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Chez Annie et Béa

Difficile à croire, mais il n’y a pas toujours eu quelque chose entre Huguette et les gros véhicules. À vrai dire, être routière, elle n’y avait jamais vraiment pensé. Elle n’était ni issue d’une famille de routiers, ni passionnée par le milieu. « Je l’ai fait par un pur hasard de chômage ! » révèle-t-elle, toujours en se marrant. Alors qu’elle avait abonné ses études d’anglais qui l’ennuyaient et enchaînait les petits boulots, elle a sauté sur une opportunité de stage offerte par l’ANPE, le Pôle emploi de l’époque où elle était inscrite. « En bas de la liste des stages, il y avait « conducteur poids lourds. J’ai pensé que ça me ferait un permis en plus. » Et ça a été le coup de foudre. « La première fois que je suis montée dans un camion, c’était épouvantable à conduire… C’est pourtant la première chose intéressante qui m’a fait palpiter dans la vie. Il fallait le maîtriser, c’était un challenge : c’était lui, ou moi ! » Et ça a été elle. Être routière, c’était ça qu’elle voulait devenir. C’était en 1977. Elle avait 22 ans. Permis poids lourds en poche, elle décroche un CAP de chauffeur routier et se passionne même pour la mécanique :

 

 

« J’avais l’impression que c’était de la médecine tellement c’était extra ! »
 

 

Mais le plus dur a été de chercher du travail : en 1977, les centres n’acceptaient pas les femmes. Conduire des poids lourds était réservé aux hommes. « Heureusement que je suis têtue », lâche Huguette, les yeux pleins de souvenirs. Car les pages jaunes, elle les a bien ratissées de fond en comble des milliers de fois, en appelant tous les employeurs de sa région. Chaque jour, pendant 8 jours. À temps plein. Mais à Grenoble, où elle vit toujours, il n’y avait pas d’autres routières. « Je n’étais pas prise au sérieux. J’en ai pleuré tellement j’ai essuyé des refus... »

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C’était comme ça, dans les premières années. Et la plupart des routières que nous avons croisées aux détours de notre route avaient systématiquement le même discours qu’Huguette. Comme Annie Sedlegger ou Béa, deux amies qui vivent en colocation près de Strasbourg. Elles aussi, elles appartiennent à la première génération. À elles aussi, ont leur a claqué la porte au nez. Dans le secteur du transport routier de marchandises (TRM), les femmes étaient presque inexistantes : en 1978, elles n’étaient que 30 routières sur toute la France, selon l’OPTL (Observatoire Prospectif des métiers et des qualifications dans les Transports et la Logistique). En 1999, elles représentaient moins d’un salarié sur neuf, d’après le rapport du Conseil National des Transports. Une progression très faible, mais inévitable : « Dans l’histoire de l’humanité, les métiers où l’on se déplace fréquemment ont été construits au masculin. Au XIXe siècle, c’était perçu comme étant normal pour l’homme puisqu’il partait gagner l’argent de la famille », affirme Marlaine Cacouault-Bitaud, maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’université Paris-V et spécialiste des rapports aux genres. Elle ajoute :

 


« Pour une femme, c’était vu
comme une source de corruption. »

 

 

3%. C’est la part qu’elles occupent aujourd’hui, selon le dernier rapport de l’OPTL. Soit 8 660 salariées. Une petite avancée, durant laquelle les routiers ont dû accepter et où des amitiés sont nées, à l’étonnement quasi-général de la part de la gent masculine. « Ah, la CB… », lâche Huguette avec nostalgie, en jetant un œil à sa Citizen Band, le vieil émetteur radio qui permettait de discuter avec les autres conducteurs. « On se racontait des conneries, on rigolait, on faisait les cons… On était jeunes quoi ! » Ils lui avaient même donné un petit surnom : « Gamine38 », pour son jeune âge et ses origines grenobloises. « Les difficultés du métier ont été présentes, mais les 95% du temps c’était super ! » Les autres 5%, avec leurs lots de machisme et autres stéréotypes sexistes, persistent toujours en 2017.

 

Alors on leur a directement demandé à eux, routiers, ce qu’ils pensaient de cette féminisation du travail.

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Cliquez sur une LED de la CB pour écouter les routiers

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17h

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1978, à Rivesaltes : Huguette était l'unique
femme du centre de formation poids lourds. 

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Avec sa soeur Monique, à droite.

Écoutez Annie et Béa,
les deux routières.

Même pas une minute. Ça n’a même pas duré une minute. Elle nous avait pourtant prévenus : « Je ne m’arrêterai pas, je vous prendrai en passant ! » Nous sommes donc là, à la station essence de La Maxe, à Metz, sur le qui-vive. Prêts à décoller à tout moment. Alors quand sa bête noire fend enfin le parking, on est bien les deux seuls à s’activer. Sans attendre, on attrape nos sacs et on fonce à sa rencontre. Vers cet énorme engin noir et rouge qui klaxonne, sous le regard étonné des autres routiers. À son bord, une femme aux cheveux roux et bouclés nous fait de grands coucous. À nous. Le signe que c’est elle, Huguette.

 

 

Elle s’arrête en plein milieu du passage. Moteur toujours allumé, elle descend de son char d’assaut. Elle ne flanche pas d’un poil, même avec ses talonnettes aux pieds. Blazer noir sur le dos et foulard coloré autour du cou, elle semble prête pour un entretien d’embauche ou un rendez-vous professionnel. Sauf qu’Huguette Durand conduit un camion-citerne et tracte des milliers d’euros de produits chimiques. La patronne de l’entreprise, c’est elle. Un « bonjour », une bise, mais pas le temps de papoter : son trajet est millimétré à la seconde près. Sa pause, c’est pour plus tard. Avec beaucoup moins d’agilité et en manquant de tomber, on se hisse jusqu’au siège passager du véhicule. La porte n’est même pas encore fermée qu’Huguette passe déjà la première vitesse. « Je vous avais bien dit que je vous attraperai en passant ! » nous lance-t-elle avec un clin d’œil. Huguette a la pêche, malgré les 7 heures de volant qu’elle a déjà dans les bras. 

 

 

« Je fais le même trajet depuis
cinq ans, je suis habituée ! » 

 

 

Chaque semaine, pendant trois jours, elle livre du silicone qu’elle a chargé à la région lyonnaise, jusqu’à la plate-forme chimique d’Hanovre, en Allemagne. Au total, 1 200 km à faire et on est déjà à mi-chemin.