0

banniere etape 4 crop.jpg

5h.
 
 

Je dors aussi bien dans mon camion que dans mon lit

On a les yeux qui piquent. 5 h du matin, c’est l’heure que choisit Huguette pour décoller. La nuit a été courte, mais c’est ça, ou risquer d’être bloqués dans les 1 000 km de bouchons qui nous attendent à Cologne. Elle n’est pas la seule maligne à opter pour cette astuce : la plupart des autres camions ont déjà déserté le parking du restaurant. Coup de bol : Huguette est du matin. Elle rayonne, comme si elle se réveillait d’une bonne grasse matinée. Sa voix est encore un peu enrouée, mais aucune fatigue dans les yeux, plutôt de l’excitation : cette dernière étape du trajet, c’est la plus délicate. « Ce n’est pas simple de conduire en Allemagne », informe-t-elle mystérieusement. Huguette aime faire partager son univers aux autres. Leur faire découvrir ce que tous n’ont pas la chance de voir. Les routes sinueuses pleines de neige fondue laissent place à des allées en travaux, bien trop rétrécies. Avec son bolide, Huguette va se prendre un plot de signalisation, c’est sûr ! Mais non, pas de choc, elle le manie comme un chef jusqu’à l’autoroute, où les camions arrivent en masse de tous les côtés. Les deux voies de circulation s’encombrent de plus en plus, très rapidement. Trop rapidement. Le trafic ralentit. C’est qu’on y arrive, à Cologne.

Cologne, et son énorme circulation autoroutière à huit voies. Cologne, et ses croisements aériens tous les 200 mètres. Cologne, et ses milliers de chauffeurs qui se coupent la route. Des feux de signalisation dans tous les sens, du blanc, du jaune, du rouge. Et puis soudain, par notre fenêtre, Cologne et son imposante zone industrielle. Des dizaines de manufactures, de cheminées d’usine, de cokeries et de raffineries, toutes illuminées de mille feux. Des étoiles dans la nuit noire. Un spectacle à couper le souffle, à tel point qu’on en oublierait presque qu’il nous asphyxie en même temps.

 

C’est généralement ici que ça bloque. On a bien fait de partir tôt : les embouteillages, ce n’est pas pour cette fois. Dans l’habitacle, Huguette reste concentrée et vigilante :

 

 

« Ce sont les routes qui sont dangereuses, mais ce n’est pas difficile
de conduire un camion. Ils sont plus maniables qu’avant. »

 

 

Ils sont désormais tous équipés et très technologiques. En un signal, son Renault Trucks la prévient si elle franchit une ligne blanche au sol. En un coup de frein, il ralentit tout seul si elle s’endort au volant. Et en ce moment-même, sur un écran d’ordinateur, son camion est visualisé. « J’ai eu 3 h de formation seulement pour apprendre à m’en servir. Tout est électrique, je ne sais même pas où est la jauge de gasoil ! » Et dire qu’avant, « les routiers étaient les rois de la mécanique. » Il y avait de quoi, puisqu’il fallait se salir les mains. « Je faisais 50 kilos, je n’avais pas de muscles et je devais manipuler des engins lourds », évoque-t-elle comme exemple. Parfois, lors des trajets les plus durs, elle perdait 3 kilos, enchaînait les nuits blanches, jusqu’à en saigner du nez.

 

 

« Je suis allée au bout de ma résistance physique. Je mangeais un steak et deux œufs le matin pour être en forme ! »

 

 

Les pannes sont désormais marginales. Rouler la nuit est devenu interdit en France. Les temps de conduite sont respectés à la seconde près. Les différences de salaires selon les sexes n'existent pas. Le métier a évolué et s’est réglementé pour devenir plus commode. Huguette ne regrette pas l’ancienne époque. Sauf, peut-être, pour la CB et les déconnades lors des vidanges. Mais désormais, même dans cette cohue autoroutière, la conductrice est sereine. « C’était le matériel de l’époque qui rendait le métier compliqué. Ça n’a plus rien à voir aujourd’hui. Tout le monde peut conduire un camion, homme ou femme, affirme la routière, en ajoutant dans un soupir : ce n’est malheureusement toujours pas acquis dans l’esprit des gens. » Le métier souffre de sa vieille réputation. « C’est un préjugé infondé, a priori tout le monde peut conduire un camion quel que soit le sexe. Ce discours est pourtant alimenté par des femmes elles-mêmes, qui disent que ce n’est pas pour elles. Elles n’ont juste pas essayé », précise Marlaine Cacouault-Bitaud, de l’université Paris-V.

 

De l’extérieur, le monde des routiers peut sembler inaccessible. Trop loin de la conception d’une vie quotidienne banale pour en saisir les réalités. De l’intérieur, il n’est pas aussi atypique qu’on pourrait l’imaginer. Et Huguette nous le prouve une dernière fois, en s’arrêtant devant le self-service aux néons orange de Lichtendorf. Sa montre indique 7 h 30 : place au petit-déj’. Huguette empoigne un plateau, une tasse de café et une viennoiserie. C’est la routine, pour elle. Plus lents, on observe encore les différentes soupes proposées en cette heure matinale. 

 

Une routine, mais plus pour longtemps. La retraite approche pour Huguette. Elle est censée quitter la route à la fin de l’année 2017. À 62 ans. « Censée » seulement, puisque la routière ne se sent pas prête à quitter sa vie de nomade.

Surprise, en quittant le self : le soleil s’est levé. Huguette est presque arrivée à destination, mais nous n’irons pas plus loin. La plate-forme chimique d’Hanovre est interdite au public. Il est temps pour nous de partir. Nous rassemblons nos affaires éparpillées, effectuons un dernier tour dans le camion… Par magie, rien ne manque à l’appel. Une bise, un « au revoir », deux coups de klaxon, mais pas plus. Vous savez ce que c’est, Huguette est pressée.

fleche vers etape 3.png

Retourner à
19h30

menu blanc.png
Banniere etape 3 menu.jpg
banniere etape 4 menu.jpg
huguette intro menu text.jpg 15 h menu text.jpg patou menu.jpg
Annie couleurs photoshop.png
Annie noir.png
fleche jaune tournee.png

« Depuis la retraite, je continue de vouloir vivre en face des grandes routes... »