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Café pas cher, cigarettes à moitié prix… Huguette fait son petit marché dans les rayons de la station, à la recherche des bonnes promos à ramener aux copains. Luxembourg oblige, ici, c’est moins cher qu’à la maison. Alors depuis le temps qu’elle s’y arrête, ses proches lui passent toujours commande. C’est l’un des avantages à voyager. Avec ses gros sachets de dosettes à la main, elle se dirige mécaniquement vers les boissons en libre-service. Sans regarder, elle appuie sur le bouton « expresso ». Cette machine a bien dû lui servir des litres de café, alors elle ne s’y perd plus. À côté, on réfléchit encore entre le café long et le court. Elle s’accoude à une table haute, ferme les yeux, savoure sa récompense et s’étire un peu.

 

 

« C’est vrai que je vois du pays, et même plusieurs dans la même journée ! »

 

 

Ses voyages lui font découvrir des paysages magnifiques et très différents. « Je rencontre des gens qui viennent du monde entier. Je peux parler français, anglais et allemand en une seule conversation ! Et j’ai toujours l’impression d’être chez moi, à la maison. » Chez elle pourtant, son absence se ressent. Surtout au début, quand Patricia et Marine, alias « Patou » et « Nanou », étaient petites. Ses deux filles. Et puis aussi après, quand elle a adopté les deux enfants de son mari, issus d’un précédent mariage. « Je suis grand-mère maintenant, alors je ne manque plus trop. Tant que je suis là pour les barbecues du dimanche, ça va ! » plaisante-t-elle. Elle y retrouve notamment ses 10 petits-enfants, une vraie petite tribu. Comme quoi, avoir des enfants tout en étant routière, ça n’a jamais été une barrière pour Huguette.

 

Des enfants, elle en aurait, un point c’est tout. Et puis avec sa sœur Mimi, également mère, elles avaient mis au point une stratégie bien à elles : dès que l’une était sur la route, l’autre gardait tous les nourrissons. Ça a marché pendant dix ans. « Ils n’étaient jamais seuls et jamais gardés. La nounou, c’était la tata donc c’était le pied ! On avait un boulot très régulier pour eux. Être mère et routière, ce n’est pas forcément facile, mais ce n’est pas incompatible », certifie-t-elle, tout en jetant un petit coup d’œil à sa montre. 17h. Fin de la pause. Une dernière gorgée, un pipi et hop, c’est reparti !

 

 

 

Son désir d’aventure, sa mère l’avait senti tout de suite. Elle n’a pas bronché quand elle lui a annoncé son choix de carrière, en 1977. Elle l’a même encouragée. « Ça t’ira très bien », lui a-t-elle répondu du tac au tac. « Elle savait que ça me plairait. Parce qu’elle me connaît, c’est ma mère. » Elle n’a ni jugé le fait qu’elle abandonne les études, ni qu’elle fasse un métier « sans grand prestige », comme le dit Huguette en mimant des guillemets avec ses mains, « c’est vrai, on est des routiers… »

 

Une chance que beaucoup de femmes n’ont pas eue à cette époque.

« Beaucoup de routières m’ont avoué qu’elles avaient dû lutter contre la pression familiale. On leur disait qu’elles ne pourraient pas être mères et qu’elles devaient faire les études qu’ils avaient prévues. Comme si le bonheur de ses enfants se prévoyait. Il y a eu plein de vocations tardives à cause de ça », explique la conductrice. Comme pour Béa, qui a ainsi continué ses études de médecine.

 

 

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Patou 1985 chien Fifi

Sa fille Patou sur le siège passager

de son camion en 1985.

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« Si tu ne veux pas nous voir maman, dis-le. »

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17h.
Je suis au bon
endroit, au bon moment
 

 

Nicky Le Feuvre, professeur en sociologie du travail à l'université de Lausanne, explique le phénomène : 
 

« Dans les représentations sociales, la femme est toujours renvoyée aux charges domestiques. Elle doit être sédentaire, donc le secteur des transports routiers a toujours été perçu comme n'étant pas convenable pour elle. C’est une socialisation déterminante, puisqu’on observe que les jeunes filles vont moins vers des métiers masculins et davantage vers une carrière dans laquelle elles se voient mariées et avec une responsabilité familiale. »

 

Des représentations sociales encore bien ancrées en 2017, affirme la spécialiste, qui tendent pourtant à s’effacer : « Les préjugés moraux sont moins forts aujourd’hui, nuance sa consœur Marlaine Cacouault-Bitaud. Les mères les encouragent à être plus autonomes et indépendantes, puisqu’elles-mêmes ont eu le sentiment d’avoir fait des sacrifices en privilégiant la vie familiale. »

 

Huguette a toujours poussé ses filles à suivre la voie qu’elles souhaitaient. Si la plus jeune a choisi celle des pompiers volontaires, la première, Patou, est devenue « un très bon chauffeur », selon sa mère, qui allume pour la première fois les phares de son véhicule. Dehors, le soleil a complètement disparu. De l’obscurité, de la neige et des sapins, de partout.

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